L'Église de scientologie a été renvoyée lundi 8 septembre par un juge parisien devant le tribunal correctionnel de Paris pour "escroquerie en bande organisée, extorsion, et exercice illégal de la médecine".
Peu de temps après, la visite de Benoît XVI à Paris puis à Lourdes a provoqué les traditionnels désordres que les pouvoirs publics et la chrétienté réunis ont décidé de ne pas qualifier de "troubles à l'ordre public" : gigantesques embouteillages, transports en commun saturés, paralysie partielle de la capitale, frénésie des fidèles, mouvements de foule, État et collectivités locales mobilisés, argent public englouti.

Ces deux évènements mettent en relief la différence de traitement que notre pays a décidé d'appliquer entre les religions officielles et les religions minoritaires opportunément qualifiées de "sectes".


A Lourdes comme chacun sait, se produisent des guérisons miraculeuses. Cette cité accueille donc en moyenne cinq millions de visiteurs par an dont soixante mille malades et grabataires. Le seul "domaine de la grotte" (où ont lieu les guérisons) a un budget de dix huit millions d'euros et emploie près de trois cents permanents et deux cents saisonniers.
Cette vaste entreprise catholique n'est accusée ni "d'exercice illégal de la médecine", ni "d'abus de faiblesse" et pas plus "d'escroquerie en bande organisée".
Dans le même temps, la scientologie est attaquée en justice parce qu'elle propose son "électromètre" que le juge Jean-Christophe Hullin lui reproche de vendre avec, je cite : "des marges bénéficiaires nettes de l’ordre de 75%".


Dans le cas de la propagation du virus du SIDA en Afrique, le silence du Vatican sur les moyens de s'en protéger fait dire à certains que l'Église est coupable de "non assistance à personne en danger" à une échelle planétaire, voire de "mise en danger d'autrui" puisque, non contents du simple silence, certains évêques facétieux ont organisé des autodafés de préservatifs.
L'Église n'a pas été inquiétée pour ces terribles accusations.


Le Coran, qui se présente comme une loi immuable et supérieure, à laquelle tout musulman doit obéir, contient des affirmations et des injonctions sur les femmes, les juifs, les apostats ou les athées, qui vont à l'encontre de tellement d'articles du code pénal qu'il serait fastidieux des les citer.
Une jeune religion qui publierait un texte sur les mêmes thèmes serait tout simplement dissoute et ses dirigeants condamnés à de lourdes peines.


On le voit bien, la distinction entre sectes et religions a une fonction juridique très précise dans notre pays. Elle permet au législateur d'exercer toutes les rigueurs de la loi à l'encontre des religions classées en "sectes" tout en évitant de poursuivre les grandes religions pour des faits comparables.

Les religions n'échappent en effet pas au régime de non-droit et de privilèges qui est le fondement de l'ordre socialo-gaulliste depuis 50 ans. Dans les domaines, sociaux, économiques, culturels ou religieux, l'établissement de passe-droits, d'exceptions et de "catégories" sert de méthode quasi systématique à l'élaboration du droit positif : opposition entre public et privé, entre sectes et religions, entre culture et commerce, interdictions et autorisations, taxes et subventions.


Jean Michel Roulet président de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) a beau s'exclamer "La France est un État de droit qui dispose d’outils juridiques, qu’elle entend mettre en œuvre pour lutter contre les sectes", la vérité est exactement contraire : la France est un État de passe-droits qui permet aux religions traditionnelles de s'affranchir du droit pénal qui est appliqué aux religions minoritaires.

Bien entendu, la raison invoquée officiellement pour discriminer les religions est toute autre. Selon les pouvoirs publics il s'agirait de protéger le public. Ce prétexte permet à plusieurs associations grassement subventionnées de s'adonner aux joies du flicage et de la délation religieuse exclusivement concentrés sur les cultes minoritaires.
Les fameux “dix dangers pour l’individu et la collectivité qui doivent permettre d’identifier une secte” peuvent s'appliquer à de multiples activités sans rapport avec les religions, comme les clubs de supporters de foot ou les vendeurs de cuisines. Le rapport parlementaire qui les présente est d'ailleurs un monument de bêtise et d'inculture.
A noter que les Talibans ne sont pas considérés comme une secte par cette nouvelle inquisition pseudo laïque ce qui en dit long sur sa supposée fonction de protection du public.


Cela veut-il dire que les périls prêtés aux sectes n'existent pas ? Non, bien sûr, Il existe effectivement des dangers à fréquenter certaines sectes comme il existe des dangers à obéir à la lettre à certaines religions traditionnelles. Mais il existe aussi des dizaines de périls comparables à ceux d'une secte qui peuvent provoquer des addictions, une perte de contrôle de soi et le lessivage de ses économies : le poker, la bourse, les jeux vidéos, le sport de haut niveau, la politique, etc.

Le point de vue développé ici, j'espère qu'on l'aura compris, n'est pas une attaque contre les grandes religions (ces religions familiales dans lesquelles on nait), même s'il égratigne certaines de leurs pratiques ou de leurs textes fondateurs. La religion catholique est, dans son ensemble, parfaitement honorable et son message rythme pacifiquement la vie de centaines de millions d'individus qui y trouvent un équilibre et une aide spirituelle.
Ce qui est dénoncé ici c'est la discrimination, c'est à dire la non application de la Règle de la Loi (rule of law).

Lorsque l'Etat souhaite appliquer des lois à certains (les sectes) mais qu'il ne peut pas les appliquer à d'autres (les religions statutaires) sans causer de grands désordres et de grands ressentiments, c'est qu'il y a un vrai problème de fond. La loi doit être la même pour tous ou ne pas exister. La discrimination n'est pas une méthode de gouvernement acceptable.

Pour sortir de l'impasse actuelle il faut adopter deux démarches démocratiques et objectives.


  • Si une loi ne peut manifestement pas être appliquée à une religion statutaire, elle ne doit pas être appliquée à une religion minoritaire. Il faut donc abandonner ou adoucir toutes les sanctions que l'on n'est pas prêt à infliger aux grandes religions. A cet égard on peut se poser la question de la pertinence des concepts "d'exercice illégal de la médecine" ou de "non assistance à personne en danger" (vaste sujet).

  • Il faut parallèlement adopter une attitude plus ferme à l'égard de toutes les religions qui enfreignent des lois que l'on juge valides et universelles. Aucune religion ne doit échapper aux rigueurs de ces Lois, quels que soient son ancienneté et le nombre de ses fidèles.


Alcodu

De retour de son île, Lionel Jospin publie une tribune dans Le Monde1 sur la crise économique mondiale, confirmant du même coup qu’il a bien fait de se retirer de la vie politique.
Associé à François Morin, ancien membre du conseil général de la Banque de France, l’ancien premier ministre livre à la France et au Monde une « analyse » de la situation financière actuelle à ce point erronée que la Violette en a encore les pétales tout tremblants. Morceaux choisis.

On attaque fort dès après une courte introduction : « Cette crise ne se réduit pas à des dérèglements (comme l'excès des créances immobilières américaines, dites subprimes) ». Raté, le problème n’est pas dans l’excès des créances immobilières américaines, le problème réside en premier lieu dans la baisse des prix de l’immobilier américain. En outre toutes les créances immobilières américaines ne sont pas des subprimes. Encore une phrase du même tonneau, et hop, la conclusion vient naturellement après une analyse aussi pertinente : « Comment en est-on arrivé là ? Par la dérégulation des marchés monétaires et financiers intervenue dans l'économie globalisée. »
Nous y voilà : si cela se passe mal, c’est parce que la sphère financière n’est plus régulée par des hommes politiques de la trempe de Lionel Jospin. On pourrait pourtant rappeler qu’à l’époque où un certain Jospin Lionel était premier ministre de la France, les finances de l’état continuaient d’enregistrer des déficits inadmissibles, et que très prudemment, ce même premier ministre n’a rien fait pour réformer l’administration française, afin de ne pas compromettre une victoire presque certaine aux élections présidentielles de 2002.
Suivent alors dans cette tribune des propos dont on peine à croire qu’ils aient été écrits par des personnages aussi éminents : « Mais les nouveaux doctrinaires n'avaient pas anticipé que le règne sans contrôle de l'offre et de la demande entraînerait des variations incessantes de ces deux taux, avec des conséquences néfastes pour l'avenir des entreprises ». Dans la bouche de Lionel Jospin, le terme de doctrinaire, sans manquer de saveur, mérite des éclaircissements. Il ne désigne pas les socialistes français ni un quelconque groupuscule d’extrême gauche, mais bel et bien les affreux libéraux. Faut-il donc que sa réflexion ait été congelée par des années de pratique assidue du marxisme pour ne pas imaginer que le jeu naturel d’une économie libérale amène des variations de l’offre et de la demande ? Quant à projeter cette déformation de l’esprit sur les libéraux…
On en vient enfin à l’argument massue qui ne manquera pas de faire grosse impression sur des personnes de bon sens : « [Pour remédier à la libéralisation des échanges], les marchés ont alors proposé leur parade, qui consistait, pour les banques, au nom de "l'innovation financière", à offrir des produits de couverture permettant aux entreprises de s'assurer contre les variations de prix (des taux de change et des taux d'intérêt). Bref, on a libéralisé les prix pour se protéger ensuite contre leurs variations ! » Résumons la position de nos auteurs : à l’origine, les hommes et les femmes vivaient heureux dans une économie étatisée. Les prix étaient déterminés par le pouvoir politique et ne variaient donc pas. Malheureusement, cédant aux conseils perfides d’une violette déguisée en serpent, ils ont voulu fixer eux-mêmes, en fonction de l’utilité qu’ils leur accordent, la valeur de leurs biens. Depuis, pour expier la faute qui les a chassés du paradis communiste, ils doivent travailler et lutter contre des fluctuations incontrôlées et parfois dramatiques.
S’ensuivent alors les habituelles tartes à la crème sur le montant colossal des sommes investies dans la finance -on tenterait en vain d’expliquer aux auteurs qu’ajouter des nominaux de produits dérivés n’a aucun sens, les positions s’annulant très largement entre elles-, ainsi que sur la concentration des richesses – en oubliant de rappeler qu’en France au moins, la richesse est essentiellement possédée par l’état - pour finir avec le remède proposé : construire un pouvoir politique mondial pour réguler et taxer la sphère financière. On ne s’attendait sans doute pas à trouver dans cet article des éléments à même de solutionner la crise actuelle. Mais pour qui espérait une prise de position originale, la déception est rude face à cette proposition rebattue ad nauseam par la sphère alter mondialiste. C’est d’autant plus lassant que l’on pourrait retourner l’argument à l’envoyeur, en dénonçant à juste titre cette volonté de globalisation politique : quelle légitimité une sphère politique gangrénée par la démagogie et le copinage, entachée par la corruption a-t-elle pour s’imposer au niveau mondial ? De quelle réussite peut-elle se targuer pour postuler à une charge aussi large ? Qui peut légitimement croire que la prise de contrôle de la finance par des personnalités qui n’y connaissent rien et qui n’y comprennent rien nous rapprocherait d’une solution ?

Si gouverner c’est prévoir, on ne sait trop que penser d’un homme politique qui fait des prévisions erronées pour des faits passés. Cette crise est décidément beaucoup trop sérieuse pour être confiée à un socialiste français.

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1. Face à la déraison financière, par Lionel Jospin et François Morin, le Monde, 5 septembre 2008

Sarko serial taxeur

Pas une semaine sans une nouvelle taxe. La polémique sur le financement du RSA pas encore close, Nicolas Sarkozy souhaite imposer aux employeurs de prendre en charge les frais de transport des salariés, et prouve par là qu’il sait se montrer généreux, au moins avec l’argent des autres.

Faute d’avoir fait des réformes quand il en était encore temps, la majorité présidentielle se retrouve aux prises avec une situation budgétaire catastrophique. L’objectif de réduction du déficit à 2,2% du PIB n’est qu’un lointain souvenir. Seul manque désormais le courage pour annoncer ce que tout le monde sait : nous allons de nouveau tutoyer les 3% fatidiques. Pour le commun des ministres, la situation serait bien embêtante. Comment dégager désormais des leviers pour augmenter le pouvoir d’achat ? Oui mais voilà : notre président n’est pas n’importe qui. L’Etat ne se réforme pas et est incapable de réduire les prélèvements obligatoires ? Qu’à cela ne tienne, faisons payer les autres, en l’occurrence les employeurs. Charge à eux en effet de dédommager les salariés de leur titre de transports, et éventuellement, la mesure est encore en discussion, de prendre en charge leurs déplacements automobiles.

Pour les salariés, la mesure est évidemment intéressante. Pour les plus modestement rémunérés, elle est même essentielle. Mais pour qui y regarde à deux fois, quelle escroquerie ! L’argent prélevé aux employeurs viendra tôt ou tard en déduction des rémunérations versées aux salariés, comme de bien entendu. Et si l’Etat souhaite absolument augmenter le pouvoir d’achat de ces mêmes salariés, ne dispose-t-il pas de moyens étendus, considérables même ? Aussi étendus par exemple que les cinquante et quelques pourcents de prélèvements qui assomment le contribuable moyen ?

On comprend dès lors mieux l’hésitation de Nicolas Sarkozy face au caractère obligatoire de la prise en charge des frais kilométriques. Pourtant, que ne faut-il faire pour qu’il doute ce garçon. Mais là, c’est tellement gros ! Faire supporter par les employeurs le coût du carburant dont le prix est quintuplé par les taxes, leur faire payer des titres de transports de régies la plupart du temps publiques et largement financées par les prélèvements obligatoires, est-ce autre chose qu’un prélèvement obligatoire sur la taxation ?

Les français sont saturés de taxes, qu’importe ! Passons à la taxe au carré ! Et si pour une fois des protestations parviennent à se faire entendre, Sarko, fidèle à se technique de mouvement perpétuel, a déjà la parade : il nous sortira du chapeau dès la semaine prochaine une nouvelle taxe pour qu’on cesse de parler de la précédente. Comment dans ces conditions lui résister ?

Mois après mois, les mauvaises nouvelles s’accumulent sur le front économique et financier et viennent attester, s’il en était encore besoin, de la gravité de la situation. Mois après mois, une frange importante des commentateurs répète à satiété la même antienne, que l’on peut résumer simplement : « c’est la faute du libéralisme ». Aussi, après la mise sous tutelle des deux établissements de crédit hypothécaires Freddie Mac et Fanny Mae la violette se devait de remettre au centre du débat quelques vérités premières.
Rappelons tout d’abord, comme l’a imparablement montré Vincent Bénard1 , que Freddie Mac et Fanny Mae ne sont pas des monstres de l’ultra libéralisme, mais des entreprises parapubliques, en charge de mettre en place la politique du gouvernement fédéral américain en termes de logements. L’accession à la propriété étant au cœur du mythe américain, rien d’étonnant à ce que les politiques, dans leur volonté de satisfaire les citoyens autant que les électeurs, aient cherché à infléchir les lois du marché qui auraient été plus restrictives.
Par ailleurs, s’il est facile avec le recul de se gausser des crédits subprimes et des risques inconsidérés qu’ils font courir sur le système financier, peut-être conviendrait-il de se souvenir que ces crédits, loin d’être de redoutables usines à gaz produites pas la créativité maladive de financiers délirants, étaient de simples crédits immobiliers destinés à des acheteurs qui, faute de revenus suffisants, se voyaient jusque là refuser leur financement. Aucune sophistication financière là dedans donc, seulement la volonté qu’en France on qualifierait de sociale de permettre à des acheteurs non solvables d’accéder à la propriété. Aussi la violette propose-t-elle de rebaptiser la crise des subprimes en crise du logement social ! D’une façon amusante, cette précision apportée à la traduction suffit à rendre caducs la majorité des commentaires sur cette crise. Et elle annihile du même coup les critiques sur l’excès du libéralisme en rappelant qu’à l’origine elle nait de la volonté de permettre à une majorité d’américains d’accéder à leur logement hors des conditions de marché. Posé comme cela évidemment, le problème résiste bien davantage que quand il est outrageusement caricaturé.
Mais venons-en aux derniers développements de cette interminable crise. Depuis de nombreuses semaines, la sphère financière se demandait comment Freddie Mac et Fanny Mae allaient pouvoir faire face à un remboursement de plusieurs dizaines de milliards de dollars à fin septembre avec une trésorerie et des fonds propres fortement dégradés. Aussi la nouvelle de leur mise sous tutelle n’a-t-elle pas surpris grand monde. Mais elle a permis à nos commentateurs automatiques de revenir à la charge dans la dénonciation du libéralisme. Tel le Canard Enchaîné, quand facétieux il explique qu’«A l’inverse de toutes ses professions de foi libérales, l’administration Bush vient de nationaliser [Freddie Mac et Fanny Mae]2» Et la violette de s’interroger : faut-il que le tropisme de la pensée unique soit puissant pour qu’un journal aussi rigoureux et indépendant en soit victime ! Cela fait belle lurette que les libéraux disent et répètent que le gouvernement américain et tout sauf libéral, et cependant, qu’il prenne une position anti libérale et l’on continue d’y voir une contradiction !
Cette mise sous tutelle a permis aussi de recycler de nouveau l’idée éculée que l’on assistait à une privatisation des profits, et une nationalisation des pertes. Si tel était le cas, comment expliquer que l’état américain, comme tous les états d’ailleurs, dispose encore de recettes ? Car faut-il rappeler que faute de pouvoir créer de la richesse, les recettes d’un état sont faites exclusivement de prélèvements divers et variés ? Quoi de scandaleux dans ce cadre que l’état restitue une partie de ce qu’il a prélevé sur la richesse produite pour tenter de limiter l’impact d’une crise qui a déjà fait perdre leur logement à des centaines de millions d’américains parmi les plus modestes ? Les actionnaires de Freddie Mac et Fanny Mae ont été sanctionnés comme il se doit : leurs actions ne valent plus rien, à la suite de l’irruption d’un nouveau créancier de rang prioritaire. Que demander alors de plus ? Veut-on plus de faillites, plus de personnes expulsées de leur logement, pour au total une crise financière qui frappe plus fort et plus longtemps ?
Comme on le voit, les théories libérales ne sortent pas affectées par cette crise. Mais face à la gravité de la situation, la Violette se gardera de toute manifestation de triomphalisme, en attendant des jours meilleurs.
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1. "Subprime : marché accusé, État coupable", Vincent Bénard, texte intégral disponible sur www.objectifliberte.fr.
2. "Ce Bolcho de Dobeuliou", Le Canard Enchaîné, 10 septembre 2008

A Monsieur Bernard Laporte
Secrétaire d’État aux sports

Paris, le 18/05/2008




Monsieur,

C’est davantage par amour de la liberté qu’en tant que supporter de football que je me permets de vous écrire, en espérant que ma lettre saura retenir toute votre attention.

L’émotion médiatique et politique étant enfin un peu retombée dans l’affaire de la désormais célèbre « banderole anti ch’tis » du match PSG-Lens du samedi 22 mars dernier, nous pouvons aujourd’hui regarder plus au calme l’historique de cet événement. Au centre de l’affaire, une banderole injurieuse, particulièrement stupide et qui permettait surtout de lire, entre les lettres, la profonde bêtise de quelques supporters. À cette banderole, l’indifférence était sans doute la meilleure réponse à apporter, ce qu’une partie du public lensois a su faire, non sans humour.

Pourtant la réaction fut toute autre : une intense couverture médiatique qui, au passage, a éclipsé l’information de la profanation du cimetière musulman de Lorette, et surtout une implication politique et juridique sans précédents. À ce jour six personnes ont déjà été mises en examen dans le cadre de cette affaire pour « provocation à la haine ou à la violence lors d'une manifestation sportive », des faits passibles d'un an d'emprisonnement de 15 000 euros d'amende et de trois ans d'interdiction de stade. Trois autres personnes seront prochainement convoquées devant les juges d'instruction. La ministre de l’Intérieur, Madame Alliot-Marie, a décidé de la dissolution du principal groupe de supporter (Boulogne boys) du PSG et le club attend, aujourd’hui, d’éventuelles sanctions financières et sportives à son encontre.

Devons-nous nous féliciter de cette réaction des pouvoirs publics ? Il est facile et non sans intérêt politique de dénoncer les écarts des supporters de football : s’en prendre ainsi à des groupes personnes soi-disant si différents du reste de la population et prononcer contre eux leur ostracisme pour assurer la défense des honnêtes gens promet une victoire politique à peu de frais et aux gains presque assurés.

Et peu importe que les débordements, dans un lieu pourtant dédié à l’expression des passions, ne soient qu’exceptionnels parmi les 760 matchs annuels de la seule ligue 1… En novembre 2006, c’est ainsi dans une atmosphère de consensus anti-raciste que Julien Quemener, jeune supporter, est tombé sous les balles d’un policier dans des circonstances plus que vaguement élucidées par les services juridiques. Le policier en question a d’ailleurs depuis été radié de l’ordre pour ses agissements hors-la-loi. Quel pays soucieux de sa justice peut ainsi admettre qu’un homme, aussi raciste fut-il, soit abattu en pleine rue sans autre forme de procès et que l’élucidation des circonstances de ce meurtre ne soient pas exposées clairement ?

Il me semble, Monsieur le Secrétaire d’État, que cet acharnement tout politique à l’encontre des débordements comme celui de la banderole s’avère en réalité plus que préoccupant pour la sauvegarde des libertés d’expression, libertés qui concernent tout autant les spectateurs de football que tout un chacun, le bon goût comme le mauvais…

Le slogan insultant du 22 mars dernier n’avait rien de bien glorieux mais méritait-il d’activer une réaction de cette ampleur ? Et les insultes proférées tous les jours et en tout lieux - car un supporter n’a pas le monopole du manque de savoir-vivre - seront-elles prochainement objet de condamnations de la même ampleur au nom d’une imprescriptible morale dictée par les pouvoirs publics ? Peut-on ainsi apprécier que le règne étatique d’un savoir-vivre établi dirige nos faits et gestes sans s’inquiéter qu’il vienne, tôt ou tard, enfreindre notre liberté d’exprimer ce qu’il nous plaît de dire… même des imbécillités ?

Pour ces raisons, je viens vous demander de bien vouloir considérer et relayer en conseil des ministres, ma demande de création d’un droit à l’insulte opposable qui pourra assurer cette liberté d’expression aujourd’hui menacée. Ce droit pourrait ainsi être opposé à toute intrusion politique et juridique dans la sphère de l’expression publique et laisser faire l’indifférence, l’intelligence et l’ironie pour meilleures réponses aux stupidités.

En espérant que ma requête trouvera auprès de vous une écoute favorable, je vous prie d'agréer, Monsieur le Secrétaire d’État, l'expression de mes salutations distinguées.


Brieuc B.



Il a le droit lui...



Ces trente dernières années, une idée nouvelle s’est peu à peu infiltrée dans le discours politique sans que personne n’y prenne vraiment garde : celle de « protéger l’individu contre lui-même », comme si chacun avait en lui un bourreau irresponsable, une ombre maléfique, un Mister Hide prêt à sévir. Socrate avait son démon qui lui soufflait de bons conseils ; l’Etat moderne voit en chacun de nous des diablotins pleins de mauvaises pensées.

Les législations sur les casques de moto, les bombes d’équitation ou les sièges bébé le prouvent bien : l’idée de protéger l’individu contre lui-même est désormais admise, dans les textes comme dans les mentalités.

Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. La polémique fut vive quand, le 16 juillet 1975, un arrêté est promulgué portant obligation du port de la ceinture de sécurité aux places avant des véhicules, en agglomération, la nuit de 22 heures à 6 heures et en permanence sur les voies rapides urbaines. Une partie de l’opinion publique accepte mal ce qui peut apparaître comme une remise en cause des libertés individuelles : n’ai-je pas le droit, dans la mesure où je suis informé des risques, de mettre en danger ma propre vie ? Que l’Etat conseille le port de la ceinture de sécurité, c’est bien son rôle ; mais qu’il l’impose sous peine d’amende, voilà qui est un pas à ne pas franchir.

C’est pourquoi deux particuliers, Messieurs Bouvet de la Maisonneuve et Millet, mettent en cause cette mesure de nature administrative devant le Conseil d’Etat. Celui-ci rejette la requête, au motif qu’il appartient au Gouvernement de prendre les mesures de police « qui ont pour objet la sécurité des conducteurs des voitures automobiles et des personnes transportées … afin de réduire les conséquences des accidents de la route ». Le Conseil d’Etat prend donc soin, dans sa décision, de ne pas invoquer la « protection de l’individu contre lui-même », et de s’en tenir à un raisonnement classique de sécurité : l’absence de ceinture de sécurité fait encourir des risques plus importants aux autres, puisque le passager éjecté peut se transformer en projectile.

Mais il est extrêmement instructif de lire dans le détail les conclusions du commissaire du Gouvernement, sur la base desquelles la décision a été prise.

Le commissaire, M. Morisot, passe en revue les différents moyens juridiques invoqués par les requérants. La plupart sont des points de procédure techniques, auxquels le commissaire répond non sans humour, en tenant à « rendre un juste hommage à l’imagination du requérant »…

Mais ce qui nous intéresse, c’est le troisième moyen, invoquant les § 3 et 4 de la déclaration des droits de l’homme de 1789 : si la liberté « consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » et que « la loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société », alors le port obligatoire de la ceinture de sécurité est, tout simplement, liberticide.

Le Commissaire précise d’abord que l’Etat se doit de faire disparaître les dangers qui résultent d’un « usage anarchique de la liberté », ce que nul ne songerait à contester. Cela suffirait à justifier le port obligatoire de la ceinture de sécurité, dans la mesure il peut diminuer les dangers pour les autres.

Mais le Commissaire va plus loin, franchissant ainsi la ligne rouge des libertés individuelles. Il affirme en effet que « la police générale n’a pas pour seul objet de protéger les tiers. Elle peut aussi avoir légalement pour but de protéger celui qui en est l’objet ». En d’autres termes : protéger l’individu contre lui-même. Et de citer le cas des baignades interdites, où l’autorité de police peut effectivement limiter la baignade sous peine d’amendes dans l’intérêt même des baigneurs : il est évident qu’un baigneur qui se noie ne cause de tort qu’à lui-même.

Ce raisonnement du Commissaire Morisot va hélas faire jurisprudence, par exemple dans l’affaire du lancer de nain (arrêt de 95 « Commune de Morsang-sur-Orge »), où les nains eux-mêmes protestaient contre une décision du maire interdisant la pratique du lancer du nain – pratique peut-être choquante, mais sans aucun danger pour ceux qui s’y soumettent volontairement et contre rémunération. L’arrêt « Commune de Morsang-sur-Orge » invoque la « dignité de la personne humaine » : notion vague s’il en est, et qu’il ne revient certainement pas à l’Etat de définir. L’arrêt se réfère à « Bouvet de la Maisonneuve » : une fois que le principe de la protection de l’individu contre lui-même est acquis, le Conseil d’Etat est aisément passé de la sphère physique (diminuer les conséquences des accidents) à la sphère morale (maintenir la dignité de la personne humaine). Autrement dit : je n’ai plus le droit de me dégrader moi-même.

C’est une dérive du droit administratif que nous devons dénoncer. Dans le cas de la baignade dangereuse, une politique libérale consisterait à informer le baigneur, au moyen de panneaux, de tous les risques encourus, mais sans rien interdire. Le baigneur peut risquer sa vie, mais ne doit pas risquer une amende. C’est une question de protection des libertés et de responsabilité individuelle.

On pourrait objecter que le baigneur représente un coût pour la collectivité à travers les opérations de sauvetage. Dans une logique purement libérale, il faut répondre qu’un système sophistiqué d’assurance privée pourrait prendre en compte la « propension au risque » (l’assuré précisant d’emblée s’il s’engage ou non, par exemple, à suivre les conseils édictés par les autorités administratives). Mais l’Etat ne peut ni ne doit se substituer à la responsabilité que chacun possède sur sa propre existence.

C’est en suivant le même raisonnement que David Hume explique, dans un court essai, que le suicide ne doit pas être considéré comme un acte criminel, car chacun peut disposer de sa vie comme il l’entend.

La jurisprudence « Bouvet de la Maisonneuve » nous fait donc entrer dans l’Etat que redoutait Tocqueville, un Etat « absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux », qui pourvoit à la sécurité des citoyens. Détails que tout cela ? « L’on oublie que c’est surtout dans le détail qu’il est dangereux d’asservir les hommes, poursuit Tocqueville dans le même chapitre. Je serais, pour ma part, porté à croire la liberté moins nécessaire dans les grandes choses que dans les moindres ».

Phil-Pornix

Ouverture

Post d'ouverture pour notre réseau. Voici une vidéo qui servira de préambule...



Corday