La Violette corrige la Rose

De retour de son île, Lionel Jospin publie une tribune dans Le Monde1 sur la crise économique mondiale, confirmant du même coup qu’il a bien fait de se retirer de la vie politique.
Associé à François Morin, ancien membre du conseil général de la Banque de France, l’ancien premier ministre livre à la France et au Monde une « analyse » de la situation financière actuelle à ce point erronée que la Violette en a encore les pétales tout tremblants. Morceaux choisis.

On attaque fort dès après une courte introduction : « Cette crise ne se réduit pas à des dérèglements (comme l'excès des créances immobilières américaines, dites subprimes) ». Raté, le problème n’est pas dans l’excès des créances immobilières américaines, le problème réside en premier lieu dans la baisse des prix de l’immobilier américain. En outre toutes les créances immobilières américaines ne sont pas des subprimes. Encore une phrase du même tonneau, et hop, la conclusion vient naturellement après une analyse aussi pertinente : « Comment en est-on arrivé là ? Par la dérégulation des marchés monétaires et financiers intervenue dans l'économie globalisée. »
Nous y voilà : si cela se passe mal, c’est parce que la sphère financière n’est plus régulée par des hommes politiques de la trempe de Lionel Jospin. On pourrait pourtant rappeler qu’à l’époque où un certain Jospin Lionel était premier ministre de la France, les finances de l’état continuaient d’enregistrer des déficits inadmissibles, et que très prudemment, ce même premier ministre n’a rien fait pour réformer l’administration française, afin de ne pas compromettre une victoire presque certaine aux élections présidentielles de 2002.
Suivent alors dans cette tribune des propos dont on peine à croire qu’ils aient été écrits par des personnages aussi éminents : « Mais les nouveaux doctrinaires n'avaient pas anticipé que le règne sans contrôle de l'offre et de la demande entraînerait des variations incessantes de ces deux taux, avec des conséquences néfastes pour l'avenir des entreprises ». Dans la bouche de Lionel Jospin, le terme de doctrinaire, sans manquer de saveur, mérite des éclaircissements. Il ne désigne pas les socialistes français ni un quelconque groupuscule d’extrême gauche, mais bel et bien les affreux libéraux. Faut-il donc que sa réflexion ait été congelée par des années de pratique assidue du marxisme pour ne pas imaginer que le jeu naturel d’une économie libérale amène des variations de l’offre et de la demande ? Quant à projeter cette déformation de l’esprit sur les libéraux…
On en vient enfin à l’argument massue qui ne manquera pas de faire grosse impression sur des personnes de bon sens : « [Pour remédier à la libéralisation des échanges], les marchés ont alors proposé leur parade, qui consistait, pour les banques, au nom de "l'innovation financière", à offrir des produits de couverture permettant aux entreprises de s'assurer contre les variations de prix (des taux de change et des taux d'intérêt). Bref, on a libéralisé les prix pour se protéger ensuite contre leurs variations ! » Résumons la position de nos auteurs : à l’origine, les hommes et les femmes vivaient heureux dans une économie étatisée. Les prix étaient déterminés par le pouvoir politique et ne variaient donc pas. Malheureusement, cédant aux conseils perfides d’une violette déguisée en serpent, ils ont voulu fixer eux-mêmes, en fonction de l’utilité qu’ils leur accordent, la valeur de leurs biens. Depuis, pour expier la faute qui les a chassés du paradis communiste, ils doivent travailler et lutter contre des fluctuations incontrôlées et parfois dramatiques.
S’ensuivent alors les habituelles tartes à la crème sur le montant colossal des sommes investies dans la finance -on tenterait en vain d’expliquer aux auteurs qu’ajouter des nominaux de produits dérivés n’a aucun sens, les positions s’annulant très largement entre elles-, ainsi que sur la concentration des richesses – en oubliant de rappeler qu’en France au moins, la richesse est essentiellement possédée par l’état - pour finir avec le remède proposé : construire un pouvoir politique mondial pour réguler et taxer la sphère financière. On ne s’attendait sans doute pas à trouver dans cet article des éléments à même de solutionner la crise actuelle. Mais pour qui espérait une prise de position originale, la déception est rude face à cette proposition rebattue ad nauseam par la sphère alter mondialiste. C’est d’autant plus lassant que l’on pourrait retourner l’argument à l’envoyeur, en dénonçant à juste titre cette volonté de globalisation politique : quelle légitimité une sphère politique gangrénée par la démagogie et le copinage, entachée par la corruption a-t-elle pour s’imposer au niveau mondial ? De quelle réussite peut-elle se targuer pour postuler à une charge aussi large ? Qui peut légitimement croire que la prise de contrôle de la finance par des personnalités qui n’y connaissent rien et qui n’y comprennent rien nous rapprocherait d’une solution ?

Si gouverner c’est prévoir, on ne sait trop que penser d’un homme politique qui fait des prévisions erronées pour des faits passés. Cette crise est décidément beaucoup trop sérieuse pour être confiée à un socialiste français.

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1. Face à la déraison financière, par Lionel Jospin et François Morin, le Monde, 5 septembre 2008

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